Net bubbles (une histoire de site d’achat groupé en 1999)

 L’économie numérique quoique jeune   (enfin plus très si on intègre les EDI et le minitel), a déjà connu et traversé pas mal de turbulences. J’ai eu envie d’évoquer cette période  de « juste avant la bulle internet ».

 Je vais vous le faire à la façon « jeu dont vous êtes le business angel ».

 

Pour ceux qui ne connaissent pas encore, Ken Malette le gentleman dilettante et investisseur fantasque va se souvenir pour nous d’un pitch de projet qu’il a entendu  et vous devez simplement vous mettre à sa place et imaginer si vous auriez investi dans le projet ou non (je vous dirais ensuite ce qu’est devenu ce projet).

Le cas relaté dans cet article a gagné le concours des Clics d’or en 2000 qui récompense les meilleurs sites internet (je viens d’assister au grand prix de l’innovation de la ville de Paris, et je trouve amusant de suivre les lauréats pour voir lesquels passent à la postérité)

 Ken nous raconte :

 « C’était mi 1999, nous cherchions tous à faire les plus belles affaires de la net économie, il était évident pour nous qu’il y avait une course et que la prime reviendrait aux entrepreneurs qui les premiers se seraient positionnés en leader de leur marché. C’est dans ce cadre que j’ai reçu Joel et Christian (Ken a cette irritante manie d’appeler tout le monde par son prénom, c’est sans doute normal dans sa culture).

 Pour une fois, j’avais en face de moi une équipe avec quelques membres très expérimentés, et j’étais prêt à dégainer mon chéquier. »

 « Joel : Monsieur Malette, je suis ravi de vous rencontrer, on raconte que vous avez le nez pour dénicher les futurs champions de l’ère numérique.

 Ken : je vous en prie, arrêtez, je suis très sensible à la flatterie, parlez moi plutôt de votre projet.

 Christian : Nous voulons redonner le pouvoir aux consommateurs en leur permettant de consommer différemment, par une logique de groupement d’achat et de souscription.

 Ken : vous proposez de faire un site d’achat groupé ?

 Joel : c’est exactement ça ! Internet et le commerce électronique vont permettre l’émergence de nouvelles pratiques, C2B, voir B2C2B…

 Ken : Oulà ! Vous allez un peu vite pour moi là. Expliquez-moi comment ça marchera concrètement.

Joel : Imaginons qu’un internaute nous demande un produit. Nous nous interrogeons nos fournisseurs puis nous le mettons sur le site. Si d’autres internautes sont intéressés, ils prennent une option. Au bout de huit jours maximum, nous clôturons le groupe et établissons un prix de vente qui tient compte du nombre d’acheteurs potentiels.

Christian : Nous offrons au consommateur la puissance d’achat d’un grossiste !

Ken : Et vous vous rémunérez avec une marge sur la transaction n’est-ce pas ? J’ai peur qu’entre la négociation avec le fournisseur et la remise commerciale aux clients il ne vous reste plus grand-chose …

 Christian : Nous nous rattraperons sur les quantités : nous avons déjà plusieurs milliers d’internautes avec nous depuis l’ouverture en janvier de notre site : autant d’acheteurs potentiels, et ce n’est qu’un début ! Nous attendons plus de 100 000 membre d’ici le milieu de l’année.

 Ken : Ah … intéressant, et qui sont ces futurs clients ?

 Joel : Plutôt des hommes, trentenaires, pour l’instant …

Christian : Oui, nous pensons que les femmes vont suivre très vite !

Ken : ca à l’air de rouler dites donc ! Vous aviez déjà une expérience en vente à distance ?

Joel : Oui, j’avais un bon poste aux trois suisses, la vente à distance et sur catalogue n’a aucun secret pour moi. C’est pourquoi notre site sera à la pointe de ce qui se fait en commerce électronique. Pensez donc, nous avons prévu une rubrique « comparez », l’achat sera possible aussi bien par carte bancaire que par chèque et virement bancaire. Rien à craindre ensuite car nous faisons livrer par des réseaux professionnels.

 Ken : Et vous vendez quoi au juste ?

 Christian : Tout ! C’est ça qui est fort !

Joel : En fait surtout des produits multimédia et électroménagers.

Christian : Oui, c’est vrai nous y allons très progressivement, il n’y aura pas plus de 80 références par semaine dans un premier temps.

Joel : nous avons fait 25 000 francs de chiffre d’affaire la première semaine d’ouverture du site, vous voyez, ca fonctionne et notre panier moyen est d’environ 1000 francs.

 Ken : il vous faut combien ?

 Joel : 15 millions de francs. Le premier rafle tout, il ne faut donc pas trainer !

 Ken : Ah oui, quand même … Je vais réfléchir …

 Christian : Pas trop longtemps quand même monsieur Malette. Il n’y aura pas de la place pour tout le monde dans ce premier tour de table, Viventures, Partech et Galileo partners sont dans le coup ! »

 Et vous, qu’auriez vous fait à la place de Ken Malette ?

 Réponse a) Rien du tout, vous auriez senti la bulle internet venir et vous  seriez resté bien à l’écart de cet investissement.

 Réponse b) Rien du tout parce que si il y avait un avenir pour les sites d’achat groupé ca se saurait, enfin quoi, c’est trop étrange cette pratique, non ?

 Réponse c) Rien du tout parce que vendre tout et n’importe quoi sur le même site, c’est une dispersion malvenue dans un premier temps. Et le catalogue constamment changeant vous a rebuté car vous anticipez un cauchemar de gestion.

 Réponse d) Vous ne savez pas ce que vous auriez fait, vous avez une vision trop floue de votre retour sur investissement.

 Réponse e) Vous auriez dégainé le chéquier évidemment ! L’entrepreneur a déjà une expérience chez les 3 Suisses et le chiffre d’affaire réalisé la première semaine montre bien que le concept marche : c’est ce qu’on appelle la preuve par le client !

 Pour la réponse, scrollez un petit peu plus bas.

 La soluce :

Les réponse c et d sont les bonnes. Si vous avez répondu « a », je ne vous crois pas ! Je sais de quoi je parle, moi aussi comme vous et comme tout le monde j’avais vu la bulle arriver, surtout à partir de 2001 😉

 La réponse b se discute…

Joel et Christian Palix sont deux frères entrepreneurs, et ils ont été les pionniers français de l’achat groupé avec la société Clust crée en 1999.

 On a aujourd’hui le retour d’expérience qui permet de dire que ce genre de business model est vraiment casse geule. En effet, la capacité de négociation avec les fournisseurs reste faible : quelques consommateurs par internet ne pèsent finalement pas si lourd que ça. La remise consentie par le fournisseur couvre souvent très mal celle consentie aux clients : il y a donc un gros problème de marge.

 En 1999 le marketing viral et les réseaux sociaux étaient encore balbutiants, or cette « viralité » est essentielle pour atteindre un nombre critique de clients sur une même offre.

On peut dire que Clust a essuyé les plâtres en défrichant le terrain pour ses successeurs : le grand prix du jury des clics d’or s’est retrouvé au bord du dépôt de bilan la même année que sa nomination.

 Il a finalement été racheté par France Télécom dans le cadre d’une stratégie vorace du type « j’achète tout ça vaudra bien quelque chose un jour ! ».

 Le site sera finalement bien plus tard cédé à RueduCommerce, en 2009 ; il s’était entre temps repositionné sur une offre high-tech grand public.

 Le site proclame encore sur une simple page que Clust « Will be back »

 http://www.clust.com/

 On ne peut cependant malgré ces déboires que saluer l’effort des entrepreneurs à l’origine de ce projet, qui ont contribué à explorer un territoire encore quasi inconnu à l’époque.

Si vous aimez cette forme d’article, n’hésitez pas à laisser un commentaire !

Vous trouverez aussi pleins d’autres cas comme celui là ici  

 

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